La Maison des Marraines : un cocon au sein de l'Afpa, pour donner des ailes
La Maison des Marraines a fêté ses 5 ans ce 21 mai 2024 au Village des solutions de Lille-Lomme. Sa fondatrice, Crama Trouillot Du Boys, et Christophe Vandaele, directeur régional en Hauts-de-France, reviennent pour nous sur ce dispositif inédit à destination des jeunes femmes, mis en place dans la région et à Champs-sur-Marne.
Crama, pouvez-vous nous parler de votre parcours et de ce qui vous a amenée à la présidence d’Impala Avenir ?
Crama Trouillot Du Boys : j’ai un parcours assez classique, j’ai travaillé 20 ans dans la finance. En 2014, j'ai voulu prendre un congé sabbatique pour réfléchir à la suite de ma carrière professionnelle. Nous avons créé le Fonds de dotation Impala Avenir avec mon mari, premier outil juridique qui nous a permis de développer nos actions. Au début, il s’agissait de financement de projets en Afrique subsaharienne et en Haïti. Au bout de 3 ans, nous avons souhaité mener des actions en France et avons lancé une première formation « Les plombiers du numérique » ; puis a suivi le dispositif « La Maison des Marraines ». Les projets ont pris de l’ampleur, nous avons alors créé l'association Impala Avenir Développement. Aujourd’hui, c’est la structure qui abrite l'ensemble des projets en France, qui nous permet de nouer des partenariats et d'aller chercher des financements auprès de mécènes publics ou privés.
Pourquoi ce nom, Impala ?
C. T. d. B. : la question nous est souvent posée, pensant que nous menons des actions en faveur des animaux ! J'aime l'image de fragilité, de beauté mais aussi de vivre ensemble que représente cette gazelle d'Afrique.
En tant qu’incubateur d’innovations sociales, quelles sont les principales missions de votre fondation ?
C. T. d. B. : la mission principale est de donner un coup de pouce vers l'autonomie ; de permettre, plus particulièrement à des jeunes grâce à des petites actions, d'accéder à une vie indépendante, que ce soit par la formation professionnelle, par le logement… En essayant d’atténuer les blocages qu’ils peuvent rencontrer dans notre société. Notre ADN, c'est le faire ensemble, le collectif : on ne recrée pas des dispositifs concurrents d'associations existantes, nous travaillons avec les acteurs du terrain et l'écosystème en place pour être beaucoup plus forts ensemble.
Selon une étude de l’INED*, près de 40 % des personnes sans abri sont des femmes. Nombre d’entre elles ont moins de 25 ans. Loger pour protéger, accompagner pour avancer : telles sont les principales missions de votre association la Maison des Marraines ?
C. T. d. B. : la genèse du projet, c’est le constat que les jeunes issus de l’Aide sociale à l'enfance (ASE) se retrouvent mis à la rue du jour au lendemain à leurs 18 ans, car l’État considère qu’étant majeurs, ils sont autonomes. Mais à 18 ans, on n'est pas du tout armé pour vivre seul, s'assumer, avoir un emploi durable. On s'est dit qu'on allait essayer d'éviter ce passage à la rue des jeunes en sortie sèche de l’ASE en leur proposant un toit pour bâtir un projet qui leur permet d'atteindre cette autonomie. Nous avons choisi les femmes parce que ce sont les plus fragiles dans la rue, où elles sont victimes de violences immondes, et avons axé sur les jeunes de 18 jusqu’à 25 ans car c’est à partir de cet âge que l’on peut prétendre aux aides comme le RSA. Lorsqu’on a lancé ce projet en 2019, nous avons constaté qu'il y avait beaucoup de jeunes femmes qui étaient en situation de précarité très importante sans avoir été identifiées par les services de l'enfance. Nous avons donc décidé d’élargir le périmètre. Aujourd'hui, nous en accueillons environ 70 % qui ne sont pas issues de l'ASE.
Christophe, il y a 5 ans, l’Afpa s’associait à Impala. Pourquoi ce partenariat et comment s’est-il concrètement mis en œuvre ?
Christophe Vandaele : j'étais alors directeur du centre de Champs-sur-Marne. Impala cherchait des solutions pour loger des jeunes filles issues de l'Aide sociale à l'enfance et s'était préalablement rapprochée de l'École de la 2e chance. L’E2C a alors pensé à l'Afpa. Nous nous sommes tous rencontrés et avons réfléchi à la possibilité de mettre en œuvre ce triptyque. On a dû perturber un peu nos habitudes puisque l’hébergement Afpa a un statut particulier, à destination des stagiaires de la formation professionnelle. Nous avons travaillé le sujet pour permettre à ces jeunes filles d'en bénéficier via un accompagnement et avons commencé l'aventure avec une dizaine de chambres ouvertes au dispositif.
La Maison des Marraines se déploie aujourd’hui en Hauts-de-France sur les centres de Lomme, de Roubaix et en juin à Liévin. Quelle dynamique partenariale pour « aller vers » et « faire venir » ces femmes dans nos centres ?
C. V. : après cette première expérimentation à Champs-sur-Marne, les Hauts-de-France ont rapidement répondu présents et le site de Roubaix a démarré le dispositif à son tour, puis celui de Lille-Lomme. Sur la région, nous avons une dynamique assez forte avec un partenariat très actif avec les missions locales. Les jeunes filles sont hébergées à l’Afpa et accompagnées par la mission locale et tout le réseau des marraines qu’Impala met à disposition et dans lequel il y a aussi des salariées de l’Afpa, d'entreprises et d'autres fondations qui viennent aider ce dispositif.
Concrètement, quel accompagnement l’Afpa propose-t-elle ?
C. V. : les contrats d'accueil en résidence sont relativement courts, renouvelables une fois. Au démarrage, on les laisse d’abord respirer. Dominique Dubois, animatrice régionale pour La Maison des Marraines (et d'ailleurs ancienne salariée de l’Afpa) suit quotidiennement ces jeunes femmes. Il faut d'abord installer la confiance, dans ce cadre sécurisé. Puis commence doucement la partie accompagnement. Le parcours de la personne se construit collectivement. L'accompagnement est majoritairement effectué par les missions locales. Nous intervenons au travers de nos Animateurs Socio-Éducatifs, notamment sur l’accompagnement de fin de journée : ateliers, visites de nos plateaux, découvertes de métiers… Nous proposons tous nos dispositifs pour les aider si nécessaire, par exemple intégrer Prépa compétences si un projet commence à s'affiner.
La stabilité du logement permet-elle aux bénéficiaires de construire leur projet d’autonomie en toute sérénité ?
C. T. d. B. : il est impossible de se projeter dans un avenir lorsqu’on ne sait pas où l’on va dormir le soir même. Rentrer à la Maison des Marraines, ça leur permet d'être en sécurité, de se poser. Il y a d’ailleurs souvent une sorte de décompensation qui s'opère au début, parfois très intense. On essaie de les aider à rebondir, à se remobiliser pour construire leur projet. La stabilité du logement et le cadre de l’Afpa sont très sécurisants : la rencontre de femmes et d’hommes différents, les formations proposées, le service de restauration… Tout cela participe à sécuriser leur parcours, d’une façon plus efficace et plus sûre que dans un logement autonome je pense, car elles se retrouvent avec un collectif autour d'elles.
Garantir un logement digne dans un environnement protégé, n’est-il pas une illustration de notre engagement pour un accueil inconditionnel et de la dynamique de transformation de nos centres en Village des solutions ?
C. V. : complètement. Lorsqu’on a rencontré Impala, nous étions au tout début de l’aventure Villages des solutions. Ils sont venus nous chercher avec leur idée et nous avons dit « chiche ! ». Cela correspondait totalement à l'esprit Villages de trouver des solutions ensemble, sur un territoire, pour l'inclusion sociale et professionnelle, pour un accueil inconditionnel. Tout seul, ça n'est pas facile de trouver une solution pérenne. Par contre, en additionnant plusieurs forces, la mission locale, Impala, l’Afpa… et d'autres partenaires qui se greffent autour au fil de l'eau, nous parvenons à être efficients.
Crama, quels bénéfices pour vous d’être installé en résidence à l’Afpa ?
C. T. d. B. : nous pouvons vraiment compter sur la solidité du partenariat et sur l'engagement de l’Afpa. L’offre de formation proposée et l’accompagnement sur la définition du projet sont essentiels : c’est en quelque sorte une boîte à outils que nous avons créée avec l’Afpa, qui permet de proposer un accompagnement sur-mesure à chacune de ces jeunes, en partenariat avec la mission locale ou l’École de la 2e chance. L’Afpa bénéficie d'un ancrage territorial important, mécaniquement Impala en jouit également pour l’accompagnement des jeunes.
Vous proposez aux jeunes femmes un principe de marrainage consistant à créer un lien privilégié avec une personne de confiance. Pouvez-vous nous en dire plus ?
C. T. d. B. : souvent les associations parlent de mentoring ou de coaching. Nous appelons cet accompagnement, avec humanité, « marrainage ». Il s’agit de proposer un lien affectif hors les murs, une forme d'amitié qui peut se lier entre une jeune et une marraine bénévole : partager du temps ensemble, découvrir de nouvelles expériences, aller au restaurant, au théâtre, en balade, en visite… De petites actions qui peuvent compter énormément pour ces jeunes. Une fois que la jeune femme est bien installée à la Maison des Marraines, nous lui proposons ce marrainage, qu’elle est libre d’accepter ou non. Certaines marraines sont d'ailleurs des salariées de l'Afpa ! Il arrive que des relations extraordinaires se créent, avec des jeunes qui trouvent une deuxième maman, une amie, un lien qui perdure au-delà de la durée d’hébergement. Si bien que nous sommes en recherche perpétuelle de marraines : l’appel est lancé !
Comment évaluez-vous l’impact de vos initiatives et comment assurez-vous leur durabilité ?
C. T. d. B. : depuis 2019, nous avons accompagné 189 jeunes femmes, avec une sortie positive pour 70 % d’entre elles. Pour assurer une durabilité de nos actions, nous avons noué des partenariats pour la sortie de dispositif. Après l’hébergement à l’Afpa, nous proposons aux jeunes femmes d'aller dans une structure intermédiaire avec un loyer pris en charge parfois par Impala Avenir. Cela permet de les accompagner sur la voie de l'autonomie et de libérer des chambres à l’Afpa pour accueillir d’autres jeunes femmes en difficulté.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
C. T. d. B. : c'est une aventure humaine ! Un cocon se créé grâce à l'ensemble des acteurs qui gravitent autour de la jeune femme, pour lui permettre de prendre son envol. Aujourd’hui, notre souhait est d’étendre notre action dans d’autres régions : je suis à l’écoute et pleinement mobilisée pour toute nouvelle opportunité !
C. V. : ce qui me tient à cœur, c'est que c'était les premiers pas du Village des solutions de l’équipe du centre de Champs-Sur-Marne. C'était un projet d'utilité sociale extraordinaire. Je suis très fier de nous tous, alors que nous fêtons les 5 ans de la Maison des Marraines en région Hauts-de-France, une boucle est bouclée, et, surtout, le projet est bien vivant !